107ème référence, INTOUCHABLES
Écrire l'histoire des INTOUCHABLES nous oblige à raconter un minimum la vie de Henri-Paul Tortosa. Le groupe créé en 1981 avec sa compagne Charlotte-Catherine Peyre a bien été représenté dans les pages de Rock'n'Folk et Best, sans oublier d'autres petites revues comme Feeling, il ne me paraît pas nécessaire à la lecture des articles parus et ici reproduits, de rajouter du texte.
Cet article provient du fanzine Dead Groll n° 9 édité en 2020, écrit par Nicolas Mesplède (dit Nico Gattaca). Je le remercie vivement de m'avoir autoriser à le republier ici.
HENRI PAUL TORTOSA, l'enfant secret du rock'n'roll.
De nos jours où le moindre souvenir du moindre acteur de la moindre scène est ressassé à coups d'ouvrages massifs, le cas d'Henri-Paul Tortosa fait curieusement figure d'exception. Tel un secret bien gardé. Celui d'un survivant de la contreculture, du temps où celle-ci signifiait encore quelque chose de radical. Une façon de vivre, de penser différente. A la marge comme on disait alors. Et Henri-Paul a toujours été un marginal. Dès sa naissance.
En Novembre 1959, lorsque sa mère entre à la maternité d'Oran, son paternel est déjà parti. Ne sachant comment appeler son dernier né, Madame Tortosa choisit les prénoms des fils de sa meilleure amie, Henri et Paul… Une sœur l'a précédé, ainsi que des jumeaux de huit ans ses aînés. Madame Tortosa travaille comme couturière à l'usine de textile du coin tout en élevant, seule, ses quatre enfants. C'est la guerre et son implacable logique économique de mort fait que les plus démunis se trouvent en première ligne. Meurtrie, la famille Tortosa quitte sa terre natale d'Algérie pour la métropole fin 1962. Henri Paul, qui n'avait pas trois ans, ne garde pratiquement pas de souvenirs de cette période. Les rares impressions qu'il lui reste, en revanche, sont sonores. Le bruit des attentats, explosions et rafales de tirs. Un peu à l'instar des rockers londoniens qui ont grandi sous les bombardements du blitz, les pieds-noirs s'expatrient emportant avec eux la furie des détonations et du fracas. Rien d'étonnant alors de les trouver dans des groupes fondateurs du rock français, Variations et Frenchies pour ne citer qu'eux, acteurs dès le départ à l'élaboration d'un rock made in France (à commencer par les Chaussettes noires mais la liste est longue).
Brinquebalée de Marseille aux 4000 de la Courneuve, en passant par Vénissieux, la famille Tortosa s'installe rue Condorcet (1), dans le 9ème arrondissement de Paris. Elle y occupe une chambre de bonne et subsiste grâce aux ménages que fait la mère. « On se chauffait au charbon qu'on rapportait depuis la cave après avoir monté sept étages. Il y avait des espaces comme ça au-dessous des portes. Les rats rentraient et allaient se planquer sous les lits. Des putains de gaspards qu'on tuait à coups de manche à balai avec un clou planté au bout ». Les temps sont durs. Le racisme des métropolitains envers les pieds-noirs n'étant pas une chimère, le jeune Henri-Paul comprend très tôt qu'il va devoir se débrouiller autrement. « Je faisais des courses pour les vieux du coin à l'épicerie de la rue des Martyrs, pour gagner un franc par-ci par-là. Je te parle de ça en 1966. Il y avait cette opération promotionnelle : Quand tu achetais six œufs, l'épicier te donnait six poussins colorés… Violet, vert, bleu, rouge… Tu en avais de toutes les couleurs ! Le glam avant l'heure ! les poussins crevaient au bout de trois jours. C'était deguelasse. Avec ma petite sœur, on ne comprenait pas trop, on était gosses. C'étaient les producteurs qui leur avaient injecté des colorants. Tu n'imaginerais plus ça maintenant ! ». Asthmatique, Henri Paul est envoyé en cure loin de Paris, ajoutant de l'absence à une scolarité déjà chaotique. Avec laquelle il rompt au bout d'un trimestre de 6e au lycée Chaptal. « J'y allais avec des disques de Bowie, avec la guitare… Je n'avais pas de si mauvaises notes mais je voulais pas aller à l'école. L'été je bossais sur les marchés. Je rapportais des fruits et légumes à la maison. » A l'étroit dans l'espace exigu du foyer familial, il est de fait incité à sortir. « Ma mère me faisait confiance. Et puis elle était rock'n'roll ». Toujours dehors, il se rend devant chaque salle où on joue du rock, finit par être connu des videurs, et surtout des producteurs qui lui donnent l'occasion de pouvoir côtoyer ses idoles. Jeune coqueluche du Paris rock, il enchaîne les backstages. Il n'a pas dix ans quand il voit Robert Charlebois sur scène. C'est la claque. S'ensuivent Areski et Fontaine et tant d'autres. Comme Led Zeppelin en 1971, auquel il assiste depuis la scène (autre claque). Ou la réunion légendaire de Lou Reed, John Cale et Nico au Bataclan en 1972. Tout cela le conforte dans sa décision prise à dix ans de devenir guitariste de rock' n'roll.
A douze ans, il forme les Rockets avec son ami Guillaume (décédé jeune), où sévit à la batterie Gérard Pullicino (2). Ce sont ensuite les Young Rats que manage Marc Zermati (3). La 2e chaîne de la télévision française y va de même de son reportage (4) (visible depuis sur YouTube). Henri Paul s'affiche avec sa casquette fétiche, cadeau de la chanteuse Joëlle du groupe Il Était Une Fois, et déclare que « le rock'n'roll n'est pas une musique pour les bourgeois ». Marc Zermati l'embauche dans son magasin d'imports de la rue des Lombards, le mythique Open Market, dont la cave lui sert de local de répétition. Henri Paul est de tous les concerts que Marc Zermati organise à l'Olympia ou ailleurs : Les New York Dolls en 1973 (il se lie d'amitié avec Sylvain-Sylvain, un expatrié d'Égypte ayant habité à deux rues de chez lui à Paris), les Flamin' Groovies en 1975 (il jamme avec Mike Wilhem (5), dans la cave de l'Open Market), etc. Comme son père réside en Belgique, la préfecture lui délivre une autorisation permanente de sortie du territoire (il est encore mineur mais émancipé). Il voit ainsi les Rolling Stones, période Mick Taylor, à Bruxelles en 1973. « Mon frère y est allé avec deux de ses potes Hell's. Ils avaient leur place. Pas moi. Ils m'ont quand même emmené. Je me suis glissé dans un groupe de spectateurs pour filer entre les pattes des gars de la sécurité. J'ai couru pour me fondre dans la foule et ils n'ont pas essayé de me rattraper. Ma petite taille m'a bien servi. J'ai retrouvé mon frangin et ses potes et vu les Rolling Stones gratos. Un gig fabuleux… »
Sentant l'avenir en France plutôt incertain pour un guitariste de rock, Henri Paul utilise cette même autorisation pour se rendre à Londres ; « Je voulais aller aux Etats-Unis, Londres n'était qu'une première étape. » 1976, il a seize ans et traîne au Marquee. Il veut jouer avec ces musiciens anglais qu'il admire tant. Il va faire la connaissance d'Alan Lee Shaw à la boutique Bizarre Records, qui lui propose de joindre les Maniacs. En août 1977, ils participent au 2e festival punk de Mont-de-Marsan avec the Clash, the Damned, Dr Feelgood, Eddie & The Hot Rods, Little Bob Story, The Police… « A Mont-De-Marsan, j'ai prêté ma Gibson TV à Sean Tyla parce qu'il n'avait pas de guitare. Sean n'était pas n'importe qui. C'est un putain de compositeur et malgré tous les bons guitaristes présents ce jour-là, c'est à moi qu'il s'est adressé. Il connaissait le son de la musique. Il m'a vachement aidé au début quand j'étais en Angleterre. Je ne l'ai pas oublié. Je lui ai fait cadeau d'une Gibson 3.35. Je ne suis pas un ingrat. ». Mais son intégration dans les Maniacs ne se passe pas aussi bien que prévu. Le petit frenchy prend trop de place. A cause de son jeu virevoltant, on ne voit que lui sur les photos. Quelques temps après leur retour à Londres, Shaw le vire. Pas grave. Henri Paul monte les Fantômes, éphémère formation comprenant Paul Gray et Steve Nicol d'Eddie & the Hot Rods. Avant de faire une rencontre décisive. « J'étais aux toilettes du Roxy quand je remarque ce mec avec un magnifique perfecto rouge. Moi j'avais un blouson pourri. Je me suis approché mais c'est lui qui m'a reconnu le premier ». « Eh, tu es le petit gars de Paris, demanda Johnny. Tu crèches où ? Pourquoi tu ne viendrais pas chez moi ? ».
Johnny Thunders veut se séparer des Heartbreakers, ne supportant plus l'ascendant de Walter Lure dans le groupe. Qu'importe, Henri Paul ne se fait pas prier. Il va cohabiter avec un de ses héros et composé avec lui « Hurtin' » (6), une des rares chansons de cette période que co-crédite Thunders. Mieux, celui-ci lui confie la lourde tâche de faire répéter ses illustres invités pour l'enregistrement de ce qui restera sûrement son plus grand disque, "So Alone". Et le petit frenchy se trouve à jouer avec Steve Marriott, (Small Faces, Humble Pie) Peter Perrett (Only Ones), Phil Lynott (Thin Lizzy) ou encore les ex-Sex Pistols, Steve Jones et Paul Cook. Mais c'est surtout avec le bassiste de Thin Lizzy que le courant passe. « Phil voulait que je le rejoigne en Irlande. Mais je suis resté fidèle à Johnny. Avec le recul, j'aurais peut-être dû accepter sa proposition ». La loyauté n'étant pas un vain mot chez Henri-Paul, il va accompagner Johnny Thunders en tout près de 12 ans (7). Un record, exception faite du batteur Jerry Nolan. « Avec des interruptions. J'avais aussi mes propres groupes. Mais à chaque fois, Johnny m'a rappelé et à chaque fois, j'ai dit oui ». Ce qui ne l'empêche pas de jouer sans lui aux côtés de Billy Rath, Walter Lure et Steve Nicol, qui enregistrent sous le nom Heroes le superbe simple « Seven Days Weekend / Too Much Junkie Business ». Skydog ne le sortira qu'en 1983. « On n'a jamais touché un centime là-dessus ».
Fin 1978, Henri Paul s'envole pour New York avec Johnny. Ils logent chez la famille Genzale dans le Queens. « Au bout d'un moment, j'en avais marre. J'ai dit à Johnny que je n'étais pas venu à New York pour rester dans le Queens. Je voulais aller là où ça bouge ». Il va traîner au CBGB et au Max's Kansas City où il joue quelques gigs avec les Senders de Philippe Marcadé, autre frenchy expatrié. Il finit par rencontrer tous les acteurs de la scène newyorkaise. Mais, tombé gravement malade au bout d'un an, il est rapatrié d'urgence en France. Les toubibs lui diagnostiquent une hépatite C. « La première de la série ». Remis sur pied, il joue avec Little Bob au Havre pendant près d'une année. « J'étais salarié de RCA qui me remboursait les frais de déplacement ». Pourtant les allers-retours Paris-Le Havre auront raison de son engagement. A Paris, il participe à l'enregistrement de « Chat Bleu », sans doute le meilleur album de Mink de Ville, intervenant à la guitare sur le titre "Savoir Faire" et aux chœurs sur "Bad Boy".
1981. Henri Paul compose pour les Fanatics et surtout pour les Intouchables, le nouveau groupe qu'il fonde avec la chanteuse Charlotte, sa compagne (8). « On avait un super répertoire et de bonnes critiques ». Dans la presse française et même anglaise, Jean-Éric Perrin va jusqu'à leur décerner la Palme d'Or 1982 du Rock D'Ici à l'Olympia « pour leur rhythm'n'blues brillant et charnu. » « Mais je n'ai vu ni la palme ni l'or ! ». Les Intouchables connaissent plusieurs line-up et durent en gros 5 ans. "On a enregistré une maquette produite par Jean-Louis Aubert (le temps d'une tournée, Corine Marienneau officie avec eux). On était signés chez Phonogram mais pas à l'international, au niveau national. Moi je voulais un directeur artistique anglais. Un professionnel. Pas un mec qui sniffe des lignes de coke et ajoute son nom comme producteur après que l'ingé son et le groupe se soient tapés tout le boulot. Je ne faisais pas de concessions. Je n'en ai jamais fait. On aurait dû percer mais j'ai été mis au placard par Phonogram pendant 7 ans". Il n'y a jamais eu de sortie officielle des Intouchables bien que des cassettes pirates de leur maquette aient circulé, ne rendant pas justice au son du groupe selon lui. « Notre manager les vendait à nos concerts dans mon dos. Un jour, en venant nous voir, ma mère s'en est aperçue. Il faisait ça alors que ce n'était qu'une maquette, pas un truc destiné à la vente ». Les Intouchables sillonnent plusieurs fois l'hexagone et se produisent au Festival de Cannes où ils invitent, tiens donc, Johnny Thunders. « Quand il était à Paris, Johnny passait souvent chez ma mère. Elle le traitait comme son propre fils, planquait sa thune ou sa came… ».
1983. Henri Paul reprend du service avec les Heartbreakers (moins Lure donc) que Johnny Thunders renomme Cosa Nostra (9). Ils tournent sur la côte Est et surtout en Europe. « A cette époque, on savait que Johnny était atteint de leucémie. Les gens ne l'apprendront qu'après sa mort. Certains soirs, sa santé l'empêchait de jouer et on a dû se débrouiller seuls avec Jerry (Nolan) et Billy (Rath). On demandait au public s'il voulait être remboursé, sinon on assurait à trois. Des reprises avec le plus souvent moi au chant. » Par la suite, managé par Christopher Giercke (un allemand de l'Est qui joue son propre rôle dans Mona et Moi (10), le film de Patrick Grandperret). Thunders obtient une avance pour enregistrer un nouveau disque pour Jungle Records. Il recrute 2 rastas londoniens pour assurer la rythmique. « Parce qu'ils ne lui coûtaient pas cher… ».
Ils enregistrent l'album "Que Sera Sera" pour le lequel Henri Paul n'est honteusement pas crédité sur les premiers pressages, alors qu'il se trouve de nouveau à rôder les musiciens au répertoire du maître. « Je ne pouvais pas les sentir. J'ai toujours dit à Johnny de s'en méfier… ». Subtilement baptisée Black Cats, cette formation bénéficie du management éclairé de Giercke qui l'emmène en Scandinavie et au Japon notamment. « Avec Christopher et Johnny, nous profitions des breaks pour visiter un musée ou des lieux sympas pendant que cette paire d'abrutis préférait rester dans sa chambre d'hôtel à mater du porno. Que Christopher lui facturait à la sortie ! ». Cependant, au fil des concerts, l'antagonisme des deux rastas crétins, associé au comportement de diva erratique du guitar singer newyorkais, finit par le lasser. Un soir, après un gig sur la côte Est, il jette l'éponge, rentre en France et laisse les Black Cats terminer la tournée sans lui. « Ca n'a pas loupé. Une semaine après mon départ, le road manager et ces deux connards se sont barrés avec la caisse. En plus du van et du matos à Johnny. Je l'avais pourtant mis en garde… ».
De retour à Paname, Henri Paul s'accroche aux Intouchables qu'il s'efforce de relancer. En vain. Son couple se sépare en août 1985 et le groupe s'éteint doucement. Et puis il y a cette nouvelle hépatite B qu'il faut soigner. « J'ai passé un temps incalculable de ma vie à me remettre de la dope. C'est très dur de décrocher. Et très long. » Quand Johnny Thunders décède en 1991, il a le sentiment d'avoir tout perdu. Il tente encore quelques coups comme les Greedy Bastards avec Wayne McGrath, le chanteur de Slaughter and the Dogs, et un ex-Jivaros. Ou cette reprise de « baby I Love You » avec les Rita Mitsouko pour un tribute à Thunders produit par Zermati. « Nous avions payé l'enregistrement mais ce pingre de Marc n'a jamais voulu payer la bande. Elle doit traîner au fond d'un tiroir de Catherine Ringer si elle n'est pas perdue. (11) ». Écœuré, Henri Paul renonce à la musique. Toujours malade, il habite chez sa mère et subsiste de petits boulots. C'est là que Lech Kowalski vient le trouver en 1992 pour le tournage de « Born to lose », son documentaire consacré à Johnny Thunders. Une scène des plus pathétiques. « Je n'aurais pas dû accepter. C'était une mauvaise idée. » Dans un regain d'énergie, il fonde les Mavericks, un nouveau groupe avec un nouveau répertoire. Après plusieurs années d'existence et quelques concerts, ils se séparent en 2009, suite à ce jour fatidique de l'accident de moto. « Une bagnole a déboulé en sens interdit. J'ai valdingué et atterri sur le trottoir. Comme dans un film ! Et le type a pris la fuite… ». Sa hanche et son genou sont sérieusement touchés. Plus grave, les médecins découvrent qu'il souffre d'algodystrophie mouchetée. En 2014, la chaîne Arte a l'idée de tourner un reportage sur lui pour l'émission Tracks. Sa diffusion l'amène à faire une rencontre toxique qui va l'éloigner durablement de la capitale, son terrain de jeu. Il déménage plusieurs fois avant de se fixer en 2017 à Toulouse. « GATTACA est le seul groupe toulousain à m'avoir invité à jouer » dit-il en référence au gig qu'ils ont donné ensemble en novembre au Ravelin.
Aujourd'hui, le nom d'Henri Paul Tortosa reste pour beaucoup associé à Johnny Thunders. Un réflexe qui l'agace parfois. "C'est vrai que Johnny représente une part importante de ma vie, mais je n'ai pas fait que ça. Heureusement ! Ce qui me gonfle, ce sont tous ceux qui prétendent le connaître et raconter son histoire alors qu'ils n'ont rien fait. Ils parlent de personnes qui n'ont rien apporté à sa musique, comme Nina Antonia (12), mais ils ne savent rien. Je suis un de ceux qui ont le plus contribué à la musique de Johnny et un des moins crédités ! Ces gens sont des arrivistes, des cloportes, des suceurs de sang ! Ils n'en ont rien à foutre du rock'n'roll ! " . Maigre récompense de sa gloire passée, outre la reconnaissance de ses pairs (Sonny Vincent, Brian James…), Henri Paul compte plusieurs milliers d'abonnés sur les réseaux sociaux dont certains s'imaginent encore qu'il vit confortablement comme une rock star. « Dis-leur que je n'ai pas de foyer. Je n'ai pas fondé de famille. Je ne possède rien, à part ma Gibson. Je n'ai jamais fait ça pour l'argent, mais pour la musique. J'ai tout donné au rock'n'roll ». Un jour, sa vie fera l'objet d'un livre ou, pourquoi pas, d'un film. Où l'on apprendrait que Bernadette Lafont a voulu l'adopter et que Patrick Dewaere venait se dépanner chez lui. Et milles anecdotes vécues sur les scènes parisienne, londonienne et newyorkaise des décennies 70 et 80. Une biographie qui pourrait s'intituler sobrement Henri Paul. Un prénom qui se suffit à lui-même. God bless rock'n'roll ans all the sinners !
Entretien avec Henri Paul Tortosa, automne 2019.
LE CAMELEON :
Depuis cette interview, Henri Paul Tortosa est décédé, le 16 janvier 2023. Je l'avais contacté via Facebook en 2022, à l'époque du COVID. Les conversations étaient toujours remplies de souvenirs et de regrets, et pas mal d'histoires et anecdotes avec évidemment Johnny Thunders. J'avais récupéré quelques titres sur une cassette que Stéphane Pons m'avait gentiment prêtée. Étant une copie, seuls quatre titres étaient sauvables au niveau du son. Je cherchais une cassette originale que le manager Gérard Beullac avait vendu au fil des concerts des Intouchables. Cette cassette regroupe plusieurs sessions, mais aucune preuve que certains titres proviennent de chez Phonogram par Jean-Louis Aubert. Seuls trois titres furent enregistrés par ce dernier : « Garden Of Love », « Tic-Tac » et « These boots are make for walkin' ». La reprise de « Johnny, Fais-moi mal » provient d'une session avec le producteur anglais John Brand (Ruts, Magazine, Lili Drop, 12°5 …). D'autres sessions se sont passées aux Studios Polydor, à priori encore par John Brand, mais il est difficile de savoir d'où proviennent exactement tous les morceaux sur la cassette, donc sur le vinyle, en sachant que le son est assez homogène, que tous les titres commencaient par le timing de HP pour les autres musiciens…
Anecdote pour ces sessions chez Polydor, un studio situé à St Marcel : C'est Pierre Nicholas l'ancien contrebassiste qui était parfois derrière les manettes ! (Georges Brassens est décédé en 1981). Philippe Ferin se souvient : "Avec sa grosse moustache, son flegme, sa tranquilité et son calme , ce monsieur ne s'est jamais pris la tête avec Henri Paul, il le laissait s'énérver ou piquer du nez. Malheureusement je ne sais pas ce qu'est devenu cette maquette. On répétait également à Pigalle en dessous d'un magasin de musique, au 24 rue Massé, c'est un restaurant aujourd'hui, le Django ! On a fait aussi un concert avec les Rois Fainéants (ex-LOU'S) aux Arts Décos à Paris, cela s'est terminé en bagarre."
Patrick Korbendau me contacta, et ce fut déjà nettement meilleur pour le son, mais pas encore suffisant. Ce fut finalement Philippe Ferin qui tient le saxophone sur certains titres d'une session enregistrée en 1982 qui m'apporta une cassette avec neuf titres sans trop de restauration. Saurons-nous un jour exactement l'histoire de toutes ces sessions... Ce vinyle a été pressé à 300 exemplaires, en vinyle opaque jaune. Les textes et les compositions sont tous signés par le couple. Textes par Charlotte et musique par Henri Paul. Les musiciens sur l'ensemble des titres :
HENRI PAUL TORTOSA : Voix et guitare lead
CHARLOTTE : Voix
GILLES DA SILVA : Basse
FRANÇOIS XAVIER GUICHARDON : Batterie
PHILIPPE FERIN : Saxophone
Photo : La première avec Catherine Deneuve : "Catherine Deneuve & moi-même après une journée de tournage tous les vendredis, tout le monde de l'équipe pouvait venir boire un verre et se détendre" (HP). Dans ce film appelé Zig Zig, avec Bernadette Lafont & Catherine Deneuve, elles étaient les deux stars du film (HP)
1 : Philippe de Café Mozart fut un compagnon de jeu de Henri Paul dans la même rue.
2 : Gérard Pullicino est ensuite devenu producteur et réalisateur d'émissions de télévision comme Taratata, la Télé des Inconnus, Le Grand Journal et également des clips musicaux pour différents artistes dont Madonna, Johnny Hallyday, Joe Cocker, David Bowie, etc. Il a été marié avec Lara Fabian.
3 : Les Young Rats ont existé de 1973 à 1976, sans avoir jamais donné de concerts devant un public. Ginger des Kidnappers et de Little Bob Story fit partie de la formation vers la fin. Le groupe était managé par Marc Zermati.
4 : Dans le reportage, les scènes où les YOUNG RATS arrivent en mobylette, sont tournées devant le lycée Jacques Decourt avenue de Trudaine dans le 9° à Paris.
5 : Mike Wilhem a fait partie des Charlatans, de Loose Gravel et des Flamin' Groovies. Trois LP sont sortis chez New Rose sous son nom.
6 : HP « Nous étions dans Soho précisément, lorsque j'ai composé "Hurtin'". C'est venu comme ça, naturellement, en jouant. John me dit "Putain c'est quoi ça ?" Je lui réponds que c'est un truc à moi et il m'encourage à approfondir. Je me dis que si John pense que c'est bien, c'est que ça doit l'être forcément. Il trouve des textes impeccables, et déclare " On va l'appeler Flirtin' ! ". Je n'arrivais pas à le prononcer ! N'ayant pas le bon accent, je disais à chaque fois « Flootin' ! . On se prenait la tête mais je revenais sur Floatin' à chaque tentative ! Puis il a trouvé Hurtin' et là, j'ai pu le prononcer correctement. Voilà comment est venu le titre (éclats de rire). On passait de ces soirées ! On avait une énorme moquette et quand on roulait des joints, il y avait toujours du tush qui tombait entre les poils, donc après, on fumait réellement la moquette. » ( tiré du livre « La France & Johnny Thunders » par Thierry Saltet , Julie Éditions, 2018.)
7 : En 1978, quand Thunders arrive en France, il n'est pas accompagné de son groupe de ce moment-là, Living Dead, qui comprend Peter Perrett, Patti Palladin, Alan Mair et Mike Kellie. Il demande à Henri Paul de lui trouver des musiciens pour jouer en particulier au Gibus. Octavio, un ami de HP sera pressenti mais vu sa faible expérience, c'est Grand Did et Riton d'Asphalt Jungle qui seront retenus. Tommy « Wild » Edwards, dit Gas, tiendra la batterie quelques temps avant Grand Did. On retrouve Gas dans les Desperados en 1980 (1 LP produit par Zermati chez Underdog).
HP : « Je n'avais jamais joué avec Johnny sur scène avant le Living Dead. J'y tenais la basse ou la seconde guitare, cela dépendait des formations. On est venu en France au Gibus pendant trois semaines et il y avait autant de monde dehors que dedans ! On aurait pu tenir des mois ! Puis on a fait quelques dates en France avec Riton à la basse et Grand Did à la batterie. Je me souviens de Lyon, Clermont-Ferrand où il y a eu une alerte à la bombe. Les concerts étaient bons puisqu'à cette époque, Johnny avait la niaque. » (tiré du livre « La France & Johnny Thunders » par Thierry Saltet , Julie Éditions, 2018.)
8 : Charlotte Catherine-Peyre est à l'affiche du film « La Bande du Rex » de Jean-Henri Meunier sorti en 1979. Elle tient le rôle de Patricia Pichon. Son nom d'artiste est alors Charlotte Kid. Elle s'occupait également de la promotion des concerts des Intouchables, avec pas mal de collage, dont l'affiche jaune.
9 : Cosa Nostra est un groupe à musiciens interchangeables, Henri Paul n'a pas toujours fait partie de ce backing band de Johnny Thunders, s'occupant des Intouchables, avec de nombreux concerts et tournées à partir de fin 1981. HP a bien joué aux Pays-Bas, en Suède et en Finlande. Pour la deuxième venue en Suède, leurs visas leur sont tout simplement refusés et la tournée nordique s'arrête là. Cosa Nostra continue alors sa route vers les Pays-Bas, avant de triompher à la rentrée au Palace de Paris avec Richard Hell en inattendue guest-star pour une reprise de son "Blank Generation". A l'automne, c'est cette fois sur la scène légendaire du Lyceum de Londres, puis en Allemagne et de nouveau en Grande-Bretagne, qu'ils déploient leur énergie. Leur show se partage à l'époque entre une partie purement électrique et très speedée et un set acoustique que Thunders assure seul. L'année se termine par une série de représentations au Gibus de Paris qui devient alors un point de chute obligé. Cette fois accompagné par les Satanic Majesties, il occupe la scène pendant pas moins de trois heures. (tiré du blog https://branleurs.over-blog.com/article-1350366.html )
10 : L'histoire de « Mona et Moi » est assez particulière. N'ayant obtenu aucun financement à partir du premier scénario, Patrick Grandperret décide d'auto-produire un " pré-film " de 20 minutes, grâce auquel il obtiendra finalement l'avance sur recettes, « Simple Simon », où les rôles principaux sont interprétés par Simon Reggiani (qui est le véritable auteur du premier scénario, NDLR), Jean-Claude Brialy, Jean-François Stévenin et Johnny Thunders. Le tournage du film, où Denis Lavant, et la découverte Sophie Simon, ont rejoint l'équipe, ne ressemble à aucun autre ; la petite troupe vit sur le décor, ensemble, et travaille quasi en continu, d'une manière très concentrée, sans répéter. La présence de Johnny Thunders et de son manager, dans leurs propres rôles, donne lieu à des scènes d'anthologie, et contribuent à cette stupéfiante sensation de vérité et de force qui émane du film. On aperçoit Henri-Paul Tortosa dans un très petit rôle (Wikipédia)
11 : A propos de ce tribute, une autre version que Freddy Lynxx raconte : « Bien sûr Henri Paul aurait dû figurer sur ce projet. Marc (Zermati) l'appelait sans arrêt car il lui avait promis une version de "I love you" en collaboration avec Fred Chichin des Rita Mitsouko. Mais il y avait toujours un prétexte pour reporter, si bien que rien n'a été prêt à temps. Alors on a eu l'idée d'ajouter en clôture d'album « Hurtin » la composition d'Henri-Paul que Johnny avait gravée en face B de « Memory ». Il en existait une version alternative dont on disposait sur cassette. Lors du mastering au studio Diam, il y a eu une galère, la cassette ne passait pas correctement. L'ingénieur du son Yves Delaunay nous a conseillé de laisser tomber car les fréquences étaient hors phase avec l'ensemble de l'album. J'ai eu l'occasion d'entendre plus tard la version de « I Love You » enregistrée chez Chichin, elle n'était hélas pas exploitable ». (tiré du livre « La France & Johnny Thunders » par Thierry Saltet , Julie Éditions, 2018.)
12 : Nina Antonia : Autrice anglaise qui a publié entre autre " Johnny Thunders… In cold blood" (Jungle Books, 1987).
Pour terminer, on peut dire qu'un grand nombre de musiciens sont passés dans les INTOUCHABLES, comme pour les différentes formations de Johnny Thunders, surtout COSA NOSTRA, que ce soit pour des répétitions, des concerts ou en studio :
Patrick Lemarchand (WARM GUN), Paul Pèchenart (LARRY MARTIN FACTORY, DOGS, FROGGIES, OUTLINES…), François-Xavier Guichardon (FANATICS), Gilles Da Silva (HEMMORAGIE, ESCALATORS, FANATICS), Frédéric Chauffray (HEMMORAGIE, ESCALATORS, FANATICS, JIVAROS), Alain Plume (DIESEL), Philippe Ferin (MODERN GUY), Tony Marlow (ROCKIN' REBELS), Jéricho (INTERIMERS), Jean-François Juvenon dit 'Cambouis' (WUNDERBACH), Georgia (la sœur de Henri-Paul, dans les chœurs sur scène), Paul (bassiste au tout début), Christophe Campo (futur HEINRICH VON KLEIST), Pascal "Kass" Woyciechowski (batterie après Gus, futur HEINRICH VON KLEIST) , Marie Alcaraz (ICI PARIS), Corine Marienneau, Jean-Louis Aubert et Louis Bertignac de TELEPHONE, etc. La liste est certainement plus longue…
CHARLOTTE (2024) : 12 novembre 1980, je reviens de Jamaïque où j'ai passé deux mois. Roissy, RER, métro, station Liège, rue Moncey dans le 9e, escalier de service, chambre de bonne… Mais… Qu'étais-je donc allé faire en Jamaïque ?
Après le tournage de la « Bande du Rex », le réalisateur Jean-Henri Meunier, a été invité à aller se reposer chez Chris Blackwell, le boss de Island (il était en couple avec Nathalie Delon qui joue dans le film). Une fois à Kingston, Jean-Henri a très envie de me faire profiter de cette parenthèse ensoleillée et Blackwell m'a très généreusement offert le voyage. Deux mois sous les cocotiers, c'est une proposition qu'on ne peut pas refuser ! Mais ça, c'est encore une autre histoire.
Me revoilà chez moi, au 5ème sans ascenseur, toute noircie par le soleil, encore du sel dans les cheveux, tout chamboulée de me retrouver là… Subitement, comme téléportée, la minuterie s'éteint. Et hop la lumière revient. Quelqu'un a appuyé sur le bouton de la minuterie.
Je me retrouve devant un garçon inconnu aux cheveux en pétard, le teint blafard, il porte un étui de guitare, son blouson est blindé de badges, il a un foulard attaché à son ceinturon et la clope au bec. Et il sort de chez moi.
Quelle aubaine ! L'idée de me retrouver toute seule dans ma chambre de bonne me faisait cauchemarder.
Nous arrivons dans un local. Il y a Hubert à la basse, Gus à la batterie et Riton au roulage de pétard. Ca joue et ça dépote ! Après une petite pose, Henri-Paul me tend un micro et me demande si je veux chanter.
Il me dit OK. Et c'est parti. Et puis, et puis… Love story. Et puis pourquoi pas une chanteuse dans le groupe ? Et puis les Intouchables
Je porte ce nom tatoué sur l'épaule depuis qu'un jeune gars nous a tous tatoués après le concert. Henri-Paul a eu droit à un beau scorpion bleu sur son avant-bras droit..
L'histoire du groupe, directement liée à notre histoire d'amour aura duré cinq ans, de novembre 1980 à 1985.
Ce fut pour moi une savoureuse tranche de vie rock'n'roll. Il n'y a pas de hasard pour les belles rencontres.
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